Prendre soin de sa voix

 

 

 

 

Au fil de cet article, Elsa BADER orthophoniste, nous expose non seulement les "ennemis" de la voix, mais aussi les idées reçues quant à l'hygiène vocale : quand prendre soin permet déjà de prévenir bien des désagréments.

 

Savez vous que nous sommes tous instrumentistes ?

 

Nous avons tous avec nous, à tout moment ou presque, un merveilleux instrument aux multiples possibilités, un instrument reflet de nos émotions, de notre humeur, de nos fragilités, de notre personnalité. Un instrument qui nous permet d'interpréter ou d'improviser à tout moment un texte, une mélodie, un rythme, du bruit, ou le tout en même temps... la voix.

 

Vous avez sans doute déjà expérimenté la sensation désagréable de constater que votre voix vous faisait défaut, prenait ses libertés, voire se faisait franchement la malle. Lorsqu'à cet entretien d'embauche très important, la bouche sèche, vous avez éprouvé toutes les difficultés du monde à énoncer vos "3 principales qualités", lorsqu'on vous a demandé de lire un texte à l'enterrement de votre regretté grand-père, lorsqu'en pleine laryngite il vous a fallu donner un cours à une classe de 3e en surchauffe, lorsque votre fille traversait la route sans regarder et n'entendait pas vos protestations, lorsqu'un lendemain de fête on vous a appelée "monsieur" au téléphone...

 

Notre voix est un instrument à part entière, soumis aux aléas de notre forme physique et psychique. Lorsqu'on exerce une profession ou une activité de loisir dans laquelle on est amené à beaucoup l'utiliser, il peut être salvateur d'en savoir un peu plus sur son fonctionnement et sur la manière dont on peut en prendre soin. Mieux vaut prévenir que guérir, même s'il reste souvent assez difficile d'adopter une certaine hygiène vocale lorsqu'on n'a jamais rencontré de désagrément dans l'utilisation de sa voix.

 

Il n'est pas hasardeux de comparer un "professionnel de la voix" -comprendre : un enseignant, un journaliste, un avocat, un homme politique, un comédien, un chanteur, etc. à un sportif de haut niveau, dans la mesure où sa bonne forme et son hygiène de vie vont influer directement sur la qualité de sa voix.

 

Voici quelques ennemis de la voix, ou du moins, quelques facteurs pouvant favoriser des difficultés vocales, dans le désordre : le stress, le manque de sommeil, le manque d'hydratation, le tabac, l'alcool, le reflux gastro-oesophagien (dans le langage courant, on dit "reflux gastrique", "remontées acides"), les cris, le bruit, les affections ORL, les troubles posturaux, l'exposition à des poussières ou produits polluants .

 

Parfois, le fait de cumuler un ou plusieurs de ces facteurs à risque entraîne des difficultés vocales qui s'éternisent plus ou moins. Une voix qui fait défaut, qui fait mal, dont on ne se sent plus "maître", peut pousser à modifier son comportement social : aller boire un verre dans un bar bruyant devient pénible, une conversation téléphonique le soir après la journée de travail est une épreuve, l'envie est forte de bâcler l'histoire du soir racontée aux enfants et il n'est plus question d'aller à cette soirée karaoké avec les collègues. Parfois, la tessiture est restreinte, le timbre de la voix est altéré, l'entourage remarque un changement.

 

Des professionnels de santé peuvent accompagner toute personne rencontrant des difficultés vocales : le médecin ORL et/ou phoniatre évalue le trouble, pratique un examen qui permettra de déterminer s'il y a une lésion sur une ou les cordes vocales (nodule, kyste...),propose un traitement (médicamenteux, prescription de rééducation vocale, voire indication de chirurgie).

 

L'orthophoniste prend en charge en rééducation vocale sur prescription médicale. La rééducation consiste en un accompagnement dans la prise de conscience de son "geste vocal", c'est à dire de la manière dont on implique tout son corps dans la production de sa voix. Avec l'aide de l'orthophoniste, le patient apprend à modifier durablement son geste vocal pour trouver une manière d'utiliser sa voix qui soit efficace tout en préservant son "instrument". Cela implique souvent un travail sur la respiration, mais pas que : l'orthophoniste propose des exercices adaptés à la vie quotidienne du patient pour répondre à ses besoins et trouver des solutions pour ne plus se fatiguer, pour retrouver de l'endurance, une facilité de production de son, une plus grande liberté dans les contours intonatifs de la voix parlée,...

 

Il n'est pas rare d'entendre des idées reçues sur la manière de prendre soin de sa voix. Tordons le cou à certaines d'entre elles :

 

  • "Lorsque j'ai une extinction de voix ou que je suis aphone, il faut que je chuchote" : c'est risqué, car la voix chuchotée "forcée", c'est à dire, la voix chuchotée assez fort pour qu'on nous comprenne, présente beaucoup de similitudes avec un comportement d'effort vocal. Seule la voix chuchotée "silencieuse" (très faible) préserve les cordes vocales. Il vaut donc mieux s'abstenir de chuchoter lorsqu'on est aphone et se munir d'un carnet et d'un crayon...

  • "Comme il faut s'hydrater pour préserver sa voix, je bois beaucoup de thé" : le thé comme le café contient de la caféine, qui favorise la déshydratation de la muqueuse des cordes vocales. Mieux vaut donc boire de l'eau ou de la tisane. Il est toutefois vrai qu'il est important de bien s'hydrater lorsqu'on est amené à beaucoup utiliser sa voix.

  • "Un verre de vin blanc avant de monter sur scène, c'est bon pour la voix" : cette légende urbaine tient sûrement au fait que l'alcool détend et déshinibe, c'est sans doute la raison pour laquelle certains chanteurs et comédiens ont l'impression qu'il est "bon pour la voix" et adoptent ce rituel. Pourtant, l'alcool est lui aussi un facteur de déshydratation de la muqueuse des cordes vocales et n'est en rien "bon pour les cordes vocales".

  • "Il paraît que le reflux gastrique peut causer des soucis de voix mais moi je n'en ai pas, je ne sens pas d'acidité" : le "reflux silencieux" (c'est à dire, sans sensation désagréable remarquée par le patient) existe et est fréquent ; il peut affecter le pharynx et larynx et irriter les muqueuses, favorisant ainsi les troubles vocaux. Le médecin ORL peut le déceler à l'examen sans symptôme signalé par le patient.

  • "Les chanteurs qui se cassent la voix ont une mauvaise technique vocale, c'est pour ça qu'ils ne tiennent pas la distance" : il n'y a nullement lieu de culpabiliser le chanteur qui se fait mal à la voix tout comme il n'y a pas lieu de culpabiliser le footballeur qui se blesse à la cuisse. Tout est souvent une question de contexte, de cumul de facteurs favorisant le trouble vocal et d'utilisation intensive de la voix.

     

    Les règles d'or pour une voix préservée sont finalement des clés utiles pour se sentir bien en forme tout court : une hydratation suffisante, une alimentation pas trop riche notamment le soir, des nuits suffisamment longues, loin du tabac et de l'alcool, des sas de décompression pour réduire le stress et éviter de hurler sur son entourage...

    Bien entendu, ces conseils sont très généraux et ne peuvent à eux seuls permettre de sortir d'un cercle vicieux de malmenage vocal déjà installé. Les conseils bien spécifiques adaptés à la réalité vocale quotidienne d'un enseignant seront différents de ceux apportés à un chanteur ou d'un ouvrier en bâtiment et pourront être prodigués par l'orthophoniste, si une rééducation s'avère nécessaire.

Elsa BADER, orthophoniste, membre d'OPAL, décembre 2017